La hausse actuelle des températures pourrait endormir notre vigilance face au gel pour nos cultures. Des scientifiques ont mis en évidence que loin de s’être atténué, le risque s’est accru.
Globalement, le changement climatique nous amène à nous demander de quelles manières nous pourrons désormais pratiquer notre agriculture. Nos recherches font suite à l’hiver 2011-2012, assez doux comparé aux autres hivers de Bourgogne-Franche-Comté, mais où ont eu lieu des dégâts gélifs historiques. Nous avons souhaité explorer cet effet à première vue paradoxal du changement climatique, où l’augmentation des températures est accompagnée d’une hausse des dégâts dus au gel. Nous avons donc lancé une étude sur le risque gélif hivernal en utilisant le pois d’hiver comme modèle. Cette plante représente un enjeu important pour notre agriculture, car en tant que légumineuse, elle a le pouvoir de capter l’azote de l’air dans ses racines, ce qui permet d’enrichir le sol sans engrais.
De plus, les pois sont riches en protéines et peuvent se substituer aux protéines animales pour nourrir le bétail, en accord avec le plan national protéines végétales.
Nous avons croisé des données issues des observations météorologiques de Météo-France des 60 dernières années sur tout le territoire français et des données recueillies sur deux sites expérimentaux de l’INRA*, à Bretenière, en Côte-d’Or, et à Chaux-des-prés, dans le Jura, à 900 mètres d’altitude. D’une part, il s’agissait d’analyser le réchauffement, ainsi que la fréquence et l’intensité des périodes de gel. D’autre part, de déterminer la vulnérabilité des pois d’hiver face à ces aléas climatiques grâce à un modèle de « stress gel », qui permet d’identifier à quelles températures la plante est soumise à un stress. Il en ressort que dans le contexte actuel de hausse des températures, le pois d’hiver est davantage exposé au risque gélif. Les périodes de froid sont moins intenses, mais le nombre de jours de stress augmente significativement.
Les êtres vivants ont la capacité de s’acclimater, c’est-à-dire d’acquérir une résistance à certains phénomènes environnementaux tels que le froid. Cette acclimatation dépend de la survenue de basses températures. Si l’hiver s’installe de façon progressive et régulière, la plante va acquérir une résistance maximale au froid. En revanche, si l’hiver s’avère doux et instable, lorsque les températures minimales vont survenir, la plante va connaître un stress important, car elle n’aura pu s’acclimater. C’est ainsi que le réchauffement modifie le risque, pour les pois d’hiver comme pour les autres végétaux. Comme tout matériel vivant, les plantes représentent de bons marqueurs climatiques et nous offrent une vision assez fine des modifications des variabilités climatiques en jeu.
Thierry CASTEL, Climatologue enseignant à Agrosup Dijon, chercheur associé au Centre de recherches de climatologie du CNRS de Dijon (Unité de recherche Biogéosciences)
Pour être à l’optimum dans les cultures, il est possible d’actionner des leviers culturaux, en décalant par exemple les dates de semis, ou des leviers variétaux : quelle variété faut-il privilégier, entre une plante résistant à d’encore plus basses températures, et une plante dont la vitesse d’acclimatation est plus rapide ? Dans le prolongement de notre travail, des scientifiques, notamment agronomes, conduisent des recherches interdisciplinaires à ce sujet. Auparavant, notre climat était stationnaire : des variations existaient entre les années, mais elles fluctuaient autour d’une moyenne stable. Aujourd’hui, nous sommes dans un régime non stationnaire qui rebat les cartes et nous invite à envisager de nouvelles cultures.
Dans le n° 29 de la revue Bourgogne-Franche-Comté Nature, découvrez un article sur l’évolution rétrospective du risque gélif hivernal en climat tempéré suite au réchauffement climatique.
INRA : Institut National de la Recherche Agronomique.