À travers l’étude de milieux humides, les hydrogéologues cherchent à mieux connaître les eaux souterraines et leurs fonctions dans la distribution de la ressource en eau et les écosystèmes.
Historiquement, elle est considérée comme telle car elle est protégée par le sol et naturellement filtrée, ce qui la rend qualitativement intéressante. Son usage et sa gestion paraissent simples comparativement aux eaux de surface et sa disponibilité est relativement constante.
Mais la progression de nos savoirs nous fait réaliser que les eaux souterraines ne sont pas identiques. Elles dépendent chacune d’un aquifère (du latin aqui, eau, et ferus, qui porte) dont les paramètres conditionnent leur qualité et leur quantité. De plus, l’eau souterraine n’est pas déconnectée des eaux de surface, tout est lié. Lorsqu’une rivière comme le Doubs est asséchée, le problème vient aussi de l’eau souterraine qui l’alimente. Dans le Doubs, 57 % de l’eau potable provient de l’eau souterraine, une proportion qui augmente dans le massif du Jura. L’agriculture, les industries et de nombreux écosystèmes dépendent d’elle. Dans le contexte de changement climatique, l’imbrication de ces enjeux est complexe.
Une étude menée dans le bois de Finges dans le canton du Valais en Suisse nous a permis d’identifier 3 types de comportements chez les arbres d’une forêt alluviale*. Saules, aulnes et peupliers puisent l’eau souterraine de manière opportuniste, lorsqu’elle est abondante et facilement accessible. Dans cette zone alpine, cela correspond à la période de fonte des glaces, en été. Les pins sylvestres et les cerisiers sauvages, quant à eux, sont compétitifs : ils utilisent l’eau souterraine plus tôt, même si cela leur demande plus d’énergie pour l’atteindre. Deux hypothèses expliquent cette différence : les pins ont besoin de beaucoup de lumière pour leur croissance et ont donc intérêt à se développer vite avant d’être ombragés par leurs voisins. Et les cerisiers ont une fructification précoce qui favorise leur colonisation. Par contre, dans les espaces où l’eau est abondante, on constate un partage : un arbre va systématiquement puiser dans l’eau souterraine quand son voisin recourra à celle présente dans le sol.
Nous étudions la réactivité de ces milieux humides très spécifiques face au changement climatique pour comprendre de quelle manière ils peuvent jouer un rôle de soutien d’étiage*. Nous observons aussi comment les tourbières se comportent selon les conditions météorologiques actuelles. Une tourbière est constituée à 90 % de carbone et moins elle reçoit d’eau, plus elle rejette de CO2. Il y a donc un risque énorme d’émission de gaz à effet de serre si l’eau vient à manquer. Nous cherchons actuellement à modéliser des scénarios selon les différentes prévisions du GIEC*.
Nous devons favoriser le partage de la ressource, sinon, les comportements d’opportunisme et de compétition vont prévaloir, comme on l’observe déjà au Brésil. Cela implique d’investir dans la redistribution. Souhaite-t-on mettre en place plus de tuyaux ? Déployer des camions-citernes, comme on l’a vu récemment dans le Haut-Doubs ? Les écosystèmes représentent un autre levier : tourbières, marais et ripisylves stockent l’eau et peuvent la restituer en période de sécheresse. Protéger et restaurer ces écosystèmes présente l’intérêt de coûter moins cher et d’être utile sur bien des plans : stockage du carbone, préservation de la biodiversité, autres services écosystémiques…
Visitez le site Internet du Service National d’Observation Tourbières, qui effectue le suivi de 4 tourbières françaises dont celle de Frasne, dans le Doubs, et auquel participe le laboratoire Chrono-Environnement : https://www.sno-tourbieres.cnrs.fr.
Forêt alluviale : forêt se développant autour d’un cours d’eau.
GIEC : Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat.
Soutien d’étiage : augmentation du débit d’un cours d’eau en période de sécheresse par un apport d’eau complémentaire.