Remarquable coquillage autrefois prisé des humains pour de multiples usages puis mis sous protection, la Grande nacre est actuellement victime d’un parasite qui pourrait causer sa perte.
Publié le 14 décembre 2021
C’est le plus grand bivalve de Méditerranée. Elle peut atteindre près d’1 mètre de long et vivre une quarantaine d’années. Elle est endémique* de la Méditerranée. Du point de vue du développement, après deux stades larvaires en pleine eau, elle se fixe sur les fonds marins pour accomplir sa métamorphose et devenir un individu juvénile qui va croître au fil des années. Elle s’installe de 1 à 40 mètres de profondeur dans les herbiers de posidonie, une plante aquatique dont les rubans de feuilles la cachent des prédateurs. Sa coquille compte deux couches : une interne en nacre (aragonite) et une externe en calcite, sur laquelle se développe une microfaune lui servant de camouflage. Plantée comme une stèle à la verticale, la pointe de sa coquille triangulaire est enfoncée de près d’1/3 dans le substrat sablonneux. Son ancrage est complété par une sécrétion, le byssus, composée de filaments très fins arrimés au substrat environnant.
Sa chair a longtemps été consommée, notamment en Corse, à Malte et dans les Balkans. Dans l’Antiquité, sa coquille a été employée comme moule naturel pour fondre des lingots de plomb. Du 18e au début du 20e siècle, elle a servi à la fabrication de boutons de nacre. Dès l’Antiquité et jusqu’au 19e siècle, elle a aussi fait l’objet d’une industrie pour son byssus, qui était récolté pour en faire un tissu brun doré solide, doux, fin et souple, surnommé « soie des mers ». Cette soie serait peut-être à l’origine du mythe de la Toison d’Or. La Grande nacre produit parfois une perle de couleur rouge appréciée des collectionneurs de perles naturelles. Encore récemment, elle était employée comme abat-jour ou autres objets de décoration. Rare et en déclin, elle bénéficie d’une protection stricte au niveau européen depuis 1992.
Fin 2016, une maladie due à un parasite protozoaire qui se fixe au niveau de la glande digestive du mollusque a généré des mortalités massives sur les côtes espagnoles. La vague s’est déplacée d’ouest en est et touche toute la Méditerranée. Des champs entiers pouvant regrouper d’une dizaine à une centaine d’individus sont décimés avec une mortalité s’élevant de 90 à 100 %. Le parasite était peut-être déjà présent mais en dormance et serait maintenant activé par le réchauffement des eaux. Ou il aurait été accidentellement relargué avec les eaux de ballast* d’un navire marchand. Si rien n’est fait, d’ici 2 ou 3 ans, ce mollusque patrimonial aura disparu, à l’instar de bien des organismes plus méconnus, victimes de perturbations d’origines humaines.
Des populations saines peuvent être déplacées dans des zones-refuges plus profondes et plus froides, ou dans des lagunes avec apport en eau douce, là où le parasite paraît ne pas sévir. Des larves peuvent aussi être collectées pour que leur développement soit sécurisé en milieu contrôlé avant d’être relâchées en milieu naturel. Nous n’avons pas encore assez de recul, mais ces solutions semblent les meilleures. La Grande nacre a une haute valeur scientifique qui rendrait d’autant plus dramatique son extinction. Des recherches sont menées pour comprendre la structure de son byssus afin d’arriver à reproduire en laboratoire ce matériau résistant. Nous essayons aussi d’identifier le processus de fabrication de la coquille externe, dont les prismes possèdent des propriétés optiques étonnantes.
Découvrez un article sur la Grande nacre dans le n° 31 de la revue Bourgogne-Franche-Comté Nature. Vous pourrez faire connaissance en détail avec sa biologie, ses traits de vie, ses diverses utilisations passées, les menaces dont elle fait l'objet...
Eaux de ballast : eaux stockées dans un navire participant à sa flottaison.
Endémique : qui vit en un seul endroit de la planète.