Grâce aux collections des muséums et au guano de chauve-souris, les scientifiques reconstituent l’histoire de l’effondrement de la biodiversité pour mieux l’enrayer.
Publié le 12 avril 2021
Nous savons aujourd’hui que le déclin massif de la biodiversité a débuté dans les années 1950, au moment de la modification significative des habitats naturels et de l’intensification de notre agriculture. À cette époque, l’écologie était une discipline minoritaire et les outils manquaient pour étudier les phénomènes complexes liés aux écosystèmes et pour dénombrer les individus. Ce n’est qu’une vingtaine d’années plus tard que l’on s’est véritablement aperçu que certains groupes taxonomiques* tels que les chauves-souris s’étaient effondrés. Est alors apparue la nécessité de remonter le temps pour en trouver les causes.En identifiant précisément ce qui a fragilisé certaines espèces, nous serons mieux à même d’agir pour les protéger. Il sera aussi possible de prédire les risques de déclin à venir.
Les spécimens qui y sont conservés depuis le 19e siècle sont de plus en plus utilisés par les chercheurs pour étudier la diversité spécifique et génétique. Grâce aux méthodes moléculaires, à partir de leur ADN, il est possible de retrouver des caractères génétiques qui n’existent plus et de tracer ainsi la diminution de la diversité génétique. Cela a bien été mis en évidence pour de nombreuses espèces animales, comme le loup gris, l’ours brun d’Europe, le hamster d’Europe, ou le guépard. Leur raréfaction soudaine a créé un « goulot d’étranglement génétique », les animaux survivants représentant une part amoindrie de la diversité originelle. Or l’appauvrissement génétique est souvent le premier marqueur du déclin d’une espèce. Il mène à ce que l’on nomme un « vortex d’extinction » : la consanguinité peut générer plus de mortalité et moins de fécondité.
L’accumulation chronologique des déjections dans le gîte des chauves-souris forme une sorte d’archives sédimentaires renfermant quantité d’informations : polluants auxquels les animaux ont été exposés, ADN, ADN des proies et parasites, pollens… Il est ainsi possible de connaître leur régime alimentaire, quel était le paysage dans lequel des individus chassaient, et d’identifier des marqueurs de pression environnementaux. À travers le projet Repast, financé par l’Agence nationale de la recherche, le laboratoire Chrono-Environnement mène des travaux novateurs à partir de prélèvements effectués sur une dizaine de sites en Bourgogne-Franche-Comté. Nous avons réussi à établir des protocoles pour amplifier l’ADN, autrement dit pour le multiplier en vue de l’étudier, ce qui représentait un véritable challenge technique. Nous entamons maintenant la phase d’étude des échantillons.
Quelques rares gîtes nous permettent de remonter jusqu’au 17e siècle, mais la plupart nous renseignent des années 1950 à aujourd’hui, ce qui est déjà très instructif. Les chauves-souris pouvaient alors évoluer dans des paysages essentiellement constitués d’essences forestières sauvages, tandis qu’à partir des années 2000, les espèces plantées par l’Homme deviennent plus fréquentes dans nos relevés. On observe aussi la diminution progressive puis brutale du plomb dans l’environnement, qui coïncide avec les alertes sur les dangers de l’essence plombée puis son interdiction. Une des hypothèses est que la cause principale du déclin initial des chauves-souris pourrait être les pesticides, mais on observe depuis plusieurs dizaines d’années une augmentation des métaux lourds dans nos relevés. La recherche en cours permettra de confirmer et d’affiner ces tendances.
Faites connaissance avec le travail d’Eve Afonso en vous rendant sur le site Internet du laboratoire Chrono-Environnement : www.chrono-environnement.univ-fcomte.fr.
Groupe taxonomique : groupe d’espèces partageant des caractéristiques communes.