Au moment où la menace grandit sur les primates au point de redouter une extinction complète des singes, les scientifiques découvrent une extraordinaire diversité d’espèces restée insoupçonnée.
Publié le 7 décembre 2021
Comme tous les pans de la biodiversité, les primates sont fortement impactés par le changement climatique et les activités humaines. 125 espèces sont classées « en danger d’extinction » sur la liste rouge de l’UICN*, et 65 espèces sont même en « danger critique ». Une étude estime qu’au vu des menaces, d’ici 20 à 45 ans, l’un des deux grands sous-ensembles de primates, celui des singes, pourrait disparaître. L’autre sous-ensemble, celui des strepsirrhiniens, dont font notamment partie les lémurs, est également gravement touché. Essentiellement implanté à Madagascar, il subit une sévère perte d’habitats liée à la déforestation.
Parallèlement, il n’y a jamais eu autant d’espèces de primates connues et leur nombre s’accroît.
En 1967, 190 espèces de primates avaient été décrites. Aujourd’hui, on en dénombre plus de 500. C’est le résultat de ce que l’on peut appeler une « inflation taxinomique* ». Il ne s’agit pas de spéciations, c’est-à-dire d’apparitions d’espèces véritablement nouvelles, car le processus évolutif est bien trop long pour que nous puissions l’observer à l’échelle humaine. Ces espèces existaient, mais restaient inconnues soit parce qu’elles n’avaient jamais été vues, soit parce qu’elles n’avaient pas été différenciées d’une autre espèce. Pour les titis, des singes d’Amérique du Sud, le nombre d’espèces est par exemple passé de 3 à 34 entre 1963 et aujourd’hui.
Ces définitions peuvent paraître artificielles, mais il est nécessaire d’avoir un cadre spécifique pour savoir précisément de quoi on parle. L’espèce est l’unité de base. Pour évaluer l’état de la biodiversité et des écosystèmes, il est important de connaître quelles sont les espèces en présence. De plus, les mesures de conservation sont souvent prises en faveur d’une espèce, et non de populations vulnérables. La reconnaissance au rang d’espèce représente donc un levier. En 2017, une nouvelle espèce d’orang-outan a ainsi été décrite à partir d’une population constituée de ce qui était jusqu’alors considéré comme une sous-espèce. En danger critique d’extinction, cette nouvelle espèce a immédiatement fait l’objet de recommandations pour permettre sa survie. Le cas des primates nous montre combien nous connaissons mal la biodiversité actuelle, et c’est y compris vrai pour celle qui nous est proche. Conduire des inventaires naturalistes dans sa commune apparaît un bon moyen de l’appréhender, pour ensuite mieux comprendre comment nos activités peuvent l’impacter.
Ce sont les recherches de terrain et la révision des collections des muséums qui permettent ces avancées, facilitées par les technologies dont nous disposons désormais. Définir une nouvelle espèce nécessite une approche globale, combinant plusieurs méthodes : examen morphologique, étude du comportement, analyse moléculaire… Chez les tarsiers, de petits primates nocturnes asiatiques, les espèces sont par exemple morphologiquement semblables, mais l’analyse de la distribution géographique et la génétique ont permis d’identifier plus de 10 espèces, contre 3 connues en 1953. La différence de vocalisations des galagos, des primates africains dont les cris rappellent des pleurs de bébés, a participé à l’identification de 12 espèces, pour seulement 3 connues en 1967.
Reportez-vous à l’article de Sébastien COUETTE paru dans le n° 31 de la revue Bourgogne-Franche-Comté Nature sur la taxinomie des primates à l’heure de la 6e extinction de masse.
Taxinomie : science visant à décrire, nommer et classer les êtres vivants.
UICN : Union internationale pour la conservation de la nature.